Une vaste étude menée à Montpellier sur plus de 1 100 patients renouvelle l’approche des vertiges et troubles de l’équilibre grâce à une analyse fine des profils auditifs. Les chercheurs y mettent en évidence un lien sous-estimé entre perte auditive et dysfonction vestibulaire, offrant aux ORL et audioprothésistes une nouvelle grille de lecture diagnostique, à la fois complémentaire et potentiellement prédictive. Vertiges et instabilité : un défi quotidien pour les cliniciens Les troubles de l’équilibre – qu’ils se manifestent par des vertiges rotatoires, une instabilité posturale ou des étourdissements diffus – constituent une plainte fréquente, particulièrement après 50 ans. En France, près d’un tiers des adultes déclare avoir déjà ressenti une sensation de déséquilibre. Pour les praticiens ORL, la complexité réside dans l’identification étiologique précise : atteinte périphérique (oreille interne), centrale (tronc cérébral, cervelet) ou encore d’origine fonctionnelle. Bien que la cochlée (audition) et le vestibule (équilibre) partagent l’espace de l’oreille interne, la relation fonctionnelle entre ces deux systèmes reste débattue. Cette étude propose d’éclairer cette zone d’ombre en croisant les données d’audiométrie tonale et plusieurs examens vestibulaires, chez des patients consultant pour vertiges ou instabilité hors phase aiguë. Six profils auditifs révélés par l’analyse statistique L’analyse des audiogrammes de 1 115 patients âgés de 8 à 98 ans, à l’aide d’une approche combinant analyse en composantes principales et classification hiérarchique, a permis d’identifier six profils auditifs distincts. Ces clusters se différencient par la forme de la courbe audiométrique (normale, chute dans les hautes ou basses fréquences, asymétrie…) mais aussi par l’âge, le sexe, et le degré moyen de perte auditive. Le profil majoritaire, représentant près de la moitié des patients, regroupe essentiellement de jeunes femmes avec une audition normale. Ce groupe est marqué par une forte proportion de migraines vestibulaires sans atteinte auditive. En revanche, les autres profils rassemblent des patients plus âgés, porteurs de pertes auditives bilatérales – symétriques ou non – fréquemment associées à des dysfonctions vestibulaires. Une oreille interne doublement interrogée : audition et équilibre Trois tests vestibulaires ont été utilisés en parallèle des audiogrammes : • Épreuve calorique : évaluation de la réponse du canal semi-circulaire latéral par stimulation thermique de l’oreille (eau froide ou tiède), permettant de détecter des asymétries fonctionnelles. • Test rotatoire : considéré comme l’examen de référence pour le diagnostic des atteintes bilatérales. Il mesure la vitesse et la durée du nystagmus induit par une rotation contrôlée du sujet. • vHIT (Video Head Impulse Test) : analyse dynamique des trois canaux semi-circulaires via des impulsions rapides de la tête enregistrées par vidéo infrarouge. Les résultats sont significatifs : • Les pertes auditives unilatérales à basses fréquences sont fortement corrélées à une hyporéflexie calorique. • Les surdités bilatérales dans les hautes fréquences – typiquement liées à l’âge – impactent les réponses au test rotatoire. • Le vHIT révèle une sensibilité des canaux postérieurs et latéraux à la fois au profil auditif et à l’âge du patient. Une lecture élargie de l’audiogramme en pratique clinique Pour les ORL et audioprothésistes, ces données ouvrent la voie à une interprétation plus fonctionnelle de l’audiométrie. Au-delà du simple diagnostic d’une hypoacousie, la forme, la symétrie et la répartition fréquentielle de la perte auditive peuvent désormais suggérer une atteinte vestibulaire associée. Ce type d’approche est particulièrement utile dans plusieurs situations cliniques : • Patients âgés présentant à la fois des vertiges et une presbyacousie • Cas de vertiges sans anomalie vestibulaire évidente • Suspicion de maladie de Ménière ou de vestibulopathie unilatérale Cette association fonctionnelle permet également de repérer des patients à risque de chute, en particulier ceux cumulant perte auditive bilatérale et atteinte vestibulaire passée inaperçue lors de l'examen clinique standard. Un panel de diagnostics mieux caractérisé L’étude a permis de mieux caractériser les diagnostics au sein de la cohorte, avec les répartitions suivantes : • Migraine vestibulaire (15,5 %) : principalement chez les jeunes femmes sans atteinte auditive • Vestibulopathie bilatérale (16,7 %) : touchant des patients plus âgés • VPPB (Vertige positionnel paroxystique bénin) (9,7 %) : prédominance féminine après 60 ans • Maladie de Ménière (4 %) et vestibulonévrite/labyrinthite (3,9 %) : souvent liées à des pertes auditives asymétriques ou fluctuantes • Démence (2,2 %) : parfois révélée par des troubles de l’équilibre associés à une surdité globale Vers un parcours de soins intégrant l’audiométrie Dans une optique de médecine personnalisée, cette étude milite pour une utilisation élargie de l’audiométrie comme outil de dépistage des troubles de l’équilibre. Un audiogramme atypique, même en l’absence de plainte auditive, pourrait justifier la réalisation d’examens vestibulaires. Pour les audioprothésistes, ces profils permettent aussi d’adapter l’appareillage en intégrant une éventuelle fragilité posturale ou vestibulaire. Conclusion : lever le cloisonnement entre audition et équilibre Loin de se cantonner à l’évaluation de la capacité auditive, l’audiométrie devient ici un véritable indicateur fonctionnel global. En révélant des liens étroits entre perte auditive et troubles de l’équilibre, cette approche intégrée propose un changement de paradigme, avec des applications concrètes en clinique, en prévention des chutes, et en éducation thérapeutique des patients vertigineux.

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